Le Ford D800 Conservateur

…que les deux Ford D800 de chez Dinky Toys proposés à la vente cette semaine avaient été en vitrine chez la marchande de jouets, rue de la Corne de Cerf à Compiègne, à deux pas de la boutique de chaussures de mes parents

Je les revois au milieu des autres productions de Bobigny et de Liverpool mais aussi des Norev…. J’aimais bien l’esthétique, moderne, de cette cabine.

Mais à l’époque, à la fin des années soixante, les couleurs métallisées, criardes, avaient freiné mes envies d’achat. Je n’avais pas d’affinité avec ces teintes, je les trouvais de mauvais goût.

J’appréciais les miniatures qui avaient un lien avec le monde réel. Je pense pouvoir dire que j’avais simplement une vision « conservatrice » des miniatures.

J’ai été déstabilisé, comme un grand nombre de collectionneurs de ma génération par l’arrivée des « roues rapides », des teintes fantaisistes et des versions que j’oserais qualifier d’extravagantes chez Matchbox et Corgi Toys (je pense par exemple aux dragsters).

Enfant, je ressentais  comme une forme de décadence. Il me faudra du temps pour analyser, comprendre et apprécier ces miniatures. Ces produits sont représentatifs de l’après soixante-huit .

Certain bureaux d’étude de fabricants de miniatures avaient décidé de casser les codes en vigueur depuis des décennies qui consistaient à proposer des « beaux jouets » de qualité,  plaisant autant à ceux les offraient, les parents, qu’aux enfants.

Désormais, ces derniers allaient avoir leur mot à dire. Place aux miniatures simplifiées et équipées de roues rapides. Il s’en suivra une course effrénée entre les bureaux d’étude pour proposer la plus extravagante miniature. Matchbox, en Europe, sera le premier à proposer ce type de produit, suivi de près par Corgi Toys. Ces deux derniers s’étaient eux-même inspirés de l’américain Mattel avec ses Hot Wheel. 

Les deux camions Ford au menu de la semaine, la balayeuse, déclinée en orange et vert scarabée métallisé et le chasse-neige, en bleu foncé métallisé, jaune et orange sont représentatifs de cette période.

On constate que les variantes de couleurs plus tardives seront bien plus sages. Liverpool était-il allé trop loin? On peut imaginer que cette série d’utilitaires Ford, les D800 et les Transit, n’avaient pas trouvé leur public dans ces couleurs métallisées.

N’oublions pas que les prix très élevés de l’époque les destinaient à une tranche d’acheteurs plutôt conservatrice et pas vraiement prête à acquérir ce genre de produits. La clientèle des Matchox était beaucoup plus large. On peut dire que Liverpool a commis une erreur de marketing. Qui avait eu envie d’acquérir un Ford Transit ou une Range Rover pompier finies en rouge métallisé ?  Le temps a fait son affaire et je me suis surpris à décliner les variantes de ces Ford D800 ou Ford Transit en collection. Désormais c’est l’oeil du collectionneur qui domine et avec l’histoire,  ces modèles ont pris toute leur saveur.

 

Les teintes du Ford D800 reproduit par Tekno à la même époque me convenaient mieux. Je préférais pourtant le traitement de la cabine du Dinky Toys qui avait si bien synthétisé les lignes. Nous avons deux versions de la firme danoise à la vente, dont un châssis long équipé de ridelles.

Tekno est resté fidèle tout au long de son existence à sa ligne de conduite : proposer des jouets de qualité, pourvus d’un maximum de fonctions. Ainsi le D800  Tekno est livré avec une cabine basculante équipée de portières ouvrantes vitrées et d’une direction. Le camion est entièrement démontable…

A l’époque, le prix de vente s’en ressentait. La fin de l’aventure est proche pour la firme danoise.

Ce modèle réapparaîtra chez le repreneur néerlandais dans des couleurs sobres, presque tristes.

J’apprécie la lumineuse harmonie de couleurs du modèle proposé rouge, jaune et verte. La seconde déclinaison du Ford D800 au programme résume l’histoire de la firme danoise et sa fidélité aux deux grandes brasseries locales Carlsberg et Tuborg.

Ces deux brasseries jalonnent la production Tekno comme le prouve les modèles programmés cette semaine. Nous avons d’abord un Dodge, se situant au début de l’histoire Tekno.

Replaçons-nous à l’aube des années cinquante et osons une comparaison avec les camions 25 de chez Dinky Toys que nous avons également à la vente. Le Dodge est  reproduit à une échelle très supérieure, proche du 1/45.

Le 25 est superbe mais il semble un peu chétif pour un utilitaire, surtout à côté des autos. La conception en plusieurs parties (châssis, cabine, plateau et calandre) a permis au fabricant danois d’oser des déclinaisons de couleurs.

Tekno poussera le luxe de la reproduction jusqu’à créer les ornementations symboliques propres à chacune des deux flottes.

Pour Carlsberg une couronne et pour Tuborg, un dais bicolore blanc et rouge positionné sur le pavillon. Cette tradition remonte à la création de la firme en 1875. Elle est d’abord apparue sur les attelages hippomobiles. Je me souviens que durant l’été à Copenhague, j’ai croisé plusieurs fois dans les rues un attelage ainsi décoré, qui faisait la joie des touristes.

Tekno dans sa même logique perfectionniste ira même jusqu’à créer des casiers en tôle rouge pour la brasserie Tuborg, et verte pour Carlsberg.

Faisons un bon en avant. Au début des années soixante Tekno utilisera la cabine et le châssis de son superbe camion Mercedes LP311, et créera de toute pièce une caisse fourgon avec volets roulants. Elle n’oubliera pas le dais positionné sur le pavillon. Toujours fidèle à sa ligne de conduite, lors de la parution de son Ford D800, elle trouvera avec ce camion un superbe support pour décliner une version plateau brasseur du plus bel effet. Le dais est bien sûr présent. C’est le système de palettes emboîtables sur lesquelles sont fixés les casiers qui émerveille. Tekno avait réalisé un charriot Hyster à fourche adaptable pour l’enfant à la manoeuvre de chargement. Tout est d’une grande finesse et d’une grande véracité. Pour la petite histoire, au même moment, en 1970, la brasserie Carlsberg racheta Tuborg. Quelques années plus tard, le repreneur néerlandais de Tekno sortira une déclinaison Carlsberg de son plateau brasseur !

Nous avons aussi un somptueux Scania tracteur semi-remorque provenant des Pays-Bas aux couleurs Lommerts. Quelle belle association de couleurs. Tekno Danemark n’a pas eu le temps de proposer cette déclinaison. Les Néerlandais l’ont fait avec brio.

Durant ces années de grand chamboulement, Solido, imperturbable, va être le gardien des traditions. La valeur étalon. La firme va même continuer à progresser en s’adaptant à la demande. La Lamboghini Miura, comme celle proposée cette semaine est sortie en 1968. Elle semble marquer un sommet. C’est de loin la plus belle reproduction en miniature de cette carrosserie Bertone. Elle a tout.

Pourtant, quand je regarde les deux splendides Citroën GS et la Citroën SM proposées cette semaine, il me semble que Solido est allé encore plus loin.

L’entreprise s’est adaptée au marché en proposant des miniatures de grande qualité, à des prix étudiés. Le bureau d’étude a jonglé avec une enveloppe allouée pour chaque modèle. Solido a ainsi limité les parties ouvrantes mais a gardé l’esprit maquette. Il me semble que c’était le bon choix.

Personne ne s’est offusqué de ne pas avoir le capot moteur ouvrant de la SM ou de la GS. La firme d’Oulins a aussi abandonné les roues orientables, passées de mode. Le bureau d’étude s’est concentré sur les détails. Appréciez le traitement de la face avant de la GS : pare-chocs, calandre et phares sont réalisés séparément. Du très grand art. Idem pour le traitement de la face arrière. Et que dire de la finesse de l’encadrement des portières ? J’oserais presque ajouter, tout cela sur une « simple » berline populaire. On peut faire le même commentaire sur la Citroën SM. Les deux modèles équipés d’un plafonnier électrique, proposés aussi cette semaine appartiennent déjà au passé.

Pourtant peu de temps sépare la Ford Mustang rallye et l’Oldsmobile Toronado des Citroën décrites plus haut. Mai 1968 est passé par là. Dans quelques temps Solido supprimera aussi le plafonnier de la Mustang et rectifiera son moule. La version offerte, de couleur jaune, est rare. Elle m’a donné bien du fil à retordre avant que je ne l’intègre dans ma collection.

Je pourrais aussi rajouter que la teinte de l’Oldsmobile est peu fréquente. Cette superbe auto au coût de revient élevé sera une victime de cette période car contrairement à la Mustang, Solido n’essaiera pas de la sauver en la simplifiant. Il fallait passer à autre chose. Elle est arrivée au mauvais moment. Il nous reste une impressionnante gamme de couleurs à aligner en vitrine.

Vincent Espinasse