Tout terrain

Je me souviens… d’une période où je n’avais d’yeux que pour les engins militaires Solido. Sans aucune logique, cette période a précédé celle où je ne regardais plus que les voitures de course et les camions. Je n’organisais pas de champs de bataille, mes intentions étaient plutôt pacifistes. J’alignais les modèles, je les faisaient défiler, sans me préoccuper de leur nationalité, et sans aucune rigueur chronologique. Je n’avais d’ailleurs que de très vagues connaissances de l’histoire de ces blindés. En analysant mes souvenirs, je constate que Solido a encore une fois été un pionnier en osant reproduire des chars allemands et russes de la seconde guerre mondiale. Il a été le premier à briser le tabou.

La firme d’Oulins n’a pourtant pas exploité ce filon historique dans les catalogues, comme elle l’a fait avec sa série Age d’or dédiée aux modèles représentatifs de l’histoire de l’automobile. Le souvenir de la guerre était encore présent. Les plaies commençaient tout juste à se refermer. Les chars allemands Tigre et Jagpanther étaient mes favoris. J’étais séduit par leur couleur sable, leur camouflage et leur allure. Je trouvais également l’étoile rouge appliquée sur le BTR40 très élégante et esthétique. Mon innocence d’enfant me permettait de ne voir dans ces objets que des jouets. Plus tard j’ai appris toute la symbolique de ces objets et je les ai regardés différemment.

Mon camion favori était le Renault 4×4 torpédo bâché que je n’hésitais pas à placer dans mon défilé au milieu des mes chars préférés.

Un des chef d’oeuvre de Solido. C’est l’efficacité du traitement des suspensions qui retient en premier l’attention. Le pare-brise finement gravé et articulé, les deux bâches, et le petit extincteur rapporté sont des détails sur lesquels il faut s’avoir s’arrêter. A l’époque, je n’avais pas connaissance des versions civiles. Il faut dire que Solido les a très vite retirées de la circulation, car le jouet avait un tel succès en version militaire que les déclinaisons civiles n’avaient pas de sens. Solido avait dû injecter des bâches de couleur grise pour ces versions. Dans un souci de rationalité, Solido a renoncé à fabriquer plusieurs couleurs de bâche pour ne conserver que la version militaire.

Notons que les dernières versions peintes de couleur grise seront équipées de bâche kaki, car Solido avait épuisé son stock de bâches grises. 

Cette semaine nous avons cette peu fréquente version finie en gris clair et équipée de bâches grises. C’est un des plus beaux modèles tout terrain jamais produit en miniature. Cette thématique sera le fil rouge de la semaine.

 

Les fabricants de jouets ont vite compris l’intérêt de la jeune clientèle pour les modèles tout terrain. Les récits et les bandes dessinées publiés dans la presse enfantine ont magnifié l’esprit d’aventure auquel est lié ce type de véhicule. Du cercle polaire à l’Afrique équatoriale, du désert aux forêts tropicales, un véhicule est pour toujours associé à ces paysages extrêmes, la Land Rover.

Vocation détournée car comme son nom l’indique, «  land », elle a été conçue pour un usage agricole.

Le ministère de l’agriculture anglais avait d’ailleurs demandé à Dinky Toys de lui fournir une série réalisée dans une teinte particulière, le kaki.

Cette miniature a été distribuée dans des foires régionales afin de promouvoir le véhicule. (Voir le blog Land Rover promotionnel). Elle appartient  à la série « 27 » de chez Dinky  Toys dédiée au monde agricole. La présence au niveau du coin arrière droit d’une prise de force servant à entrainer une courroie reliée à une batteuse, confirme sa vocation. Son usage premier a été détournée et, rapidement, c’est le côté « engin tout terrain » qui a primé chez les utilisateurs.

Arrivé en 1956 sur le marché du jouet, Corgi Toys a compris rapidement l’intérêt d’avoir un tel modèle à son catalogue.  Dès 1957 une superbe Land Rover y apparaît. Plus de dix millions d’exemplaires seront produits et déclinés à partir de cette version pick-up. Cette semaine nous avons deux modèles se situant au bout de la chaîne de production, équipés des roues Whizzwheels. La première possède encore la belle boîte vitrine illustrée. Le dessin expressif replace l’auto dans le Sahara près d’un puit de pétrole : de quoi éveiller l’imagination du jeune propriétaire. Elle se singularise par sa bâche de couleur orange et non kaki. Cet accessoire de cette couleur avait été créé pour habiller la Land Rover qui tracte une remorque plate sur laquelle repose un petit avion. On peut imaginer que le surplus a été positionné sur cette éphémère et peu fréquente version qui mérite votre attention.

La seconde est l’ultime déclinaison avant le changement d’échelle opéré par Corgi Toys. Outre sa rareté certaine (qui a pensé à acquérir ce type de modèle à l’époque ?) son intérêt est historique. La teinte originale, jamais vue auparavant, et son ultime boîtage sont des éléments à prendre en considération.  Elle clôture l’histoire de la Land Rover Corgi Toys au 1/43.

Au milieu des années soixante-dix, Corgi Toys réoriente sa gamme et choisit de changer d’échelle de reproduction. Elle opte pour le 1/36. On peut y voir la volonté de se démarquer de la concurrence en proposant une gamme de qualité (on appréciera le traitement des roues) dédiée à une clientèle plus jeune. Corgi Toys avait en effet analysé que l’âge moyen de ses acheteurs reculait. Nous avons déjà dans ces lignes évoqué ce phénomène. Dans cette nouvelle gamme, l’intemporel Land Rover avait bien sûr sa place. C’est une 109 châssis long vitré qui est choisie. Cette semaine, nous avons la version « Game Park » qui inaugure la série. J’apprécie le clin d’oeil de la firme de Swansea à son  passé. C’est le coffret « lions of Longleat »  réalisé en 1968 qui a inspiré aux décideurs en 1976 cette version « Game Park ». La finition camouflage, avec ses zébras réalisés au pochoir est très réussie. Elle a participé au succès du modèle. C’est Solido qui a été le premier à utiliser ce type de finition sur sa DKW Auto Union de couleur sable, en 1966, avant de l’appliquer sur son char Tigre puis Jagpanther. Corgi Toys s’en est inspiré pour ses Land Rover Daktari puis Lions of Longleat.

On sait que les fabricants de jouets s’épiaient et analysaient les productions de leurs concurrents. M. Badaroux, du bureau d’étude de Dinky Toys m’a plus d’une fois vanté les modèles Solido et leur conception. Les nombreuses déclinaisons opérées à Swansea sur les Land Rover et leur succès commercial ont fini par convaincre la direction de Norev de réaliser une Land Rover. Nous étions déjà en 1968 quand la première Land Rover Norev (la version pick-up) est apparue. C’est une constante chez Norev. La direction a souvent pris beaucoup de temps pour finaliser un projet. On le voit sur les documents professionnels. Le constat vaut également pour certaines autos de course qui furent, ou ne furent pas réalisées, la direction ayant pris trop de temps à se décider. La Land Rover peut être rangée dans cette catégorie. Ce fut heureusement une réussite, comme souvent chez Norev. La miniature est très supérieure à la Corgi Toys. Le treuil situé devant la calandre avant et le logo rapporté sur le coin arrière droit de la carrosserie sont des petits détails qui la place au panthéon des reproductions de Land Rover. Norev ira bien plus loin que Corgi Toys, et proposera plusieurs carrosseries (pick up, vitrée)  et même deux empattements de châssis (court et long).

Cette semaine nous avons celle qui a inauguré la série, la version pick-up. Les banquettes rapportées de couleur contrastée sont un plus.  Le châssis court confère à cette version une certaine élégance.

La seconde proposée est une habile déclinaison de ce pick-up, en version dépanneuse.

La couleur bleue clair est un atout. Norev la proposera ensuite dans un coffret intitulé « zone bleue ». Elle tracte alors une remorque avec une auto (plusieurs possibilités Simca 1000 Bertone, Citroën 2cv). L’intitulé du coffret est clair. La dépanneuse emmène la voiture mal garée à la fourrière. Les fabricants français de jouets ne manquaient pas d’imagination. On pense au modèle proposé par C-I-J, (Renault prairie zone bleue) de fabrication antérieure qui a dû inspirer Norev. On se demande si les fabricants de jouets avaient un objectif moralisateur en concevant ces coffrets qui montrent à l’enfant les conséquences fâcheuses résultant du non-respect des règles de stationnement et donc de vie en société. Un fabricant de miniatures oserait-il en 2024 proposer un camion plateau de la préfecture de police ou une voiture équipée d’un radar mobile ? 

Vincent Espinasse