Toute l’équipe de l’AutoJaune vous présente ses meilleurs voeux pour cette nouvelle année !

HIVERS MILANAIS 

La scène se passe dans le sous-sol d’un immeuble milanais au cours de ce mois de décembre 2024. Je suis avec ma fille, au milieu d’un ensemble de vitrines remplies de miniatures et d’automobilia.

C’est arrangé avec beaucoup de goût. Pas de doutes, nous sommes en Italie. L’homme a rassemblé un ensemble haut en couleur, constitué de marques diverses, principalement italiennes, mais pas que. Du Britains, du mercury, du Corgi Toys, du Gama, du Mebetoys, du Pocher, du Dinky Toys, du Matchbox… des échelles allant du 1/24 au 1/75.

Tout est neuf en boîte. Pas de déclinaison de couleurs à l’infini. Non, mais à chaque fois, le fin connaisseur a choisi la bonne variante de couleur et de boîte. Le tout dans un état splendide.

Je reste admiratif. Dans un coin, un peu à l’écart, trouvent place des modèles qui semblent dénoter au milieu de cet ensemble haut de gamme. Mon interlocuteur semble percevoir mon embarras. Il s’agit de modèles de fabrication chinoise réalisés par Atlas. Il lève les yeux  au ciel, écarte les mains dans un geste où l’étonnement le partage à l’impuissance et lâche en anglais : « je ne sais pas pourquoi j’ai acheté cela ». Et là, j’essaie de comprendre ce qui a pu pousser cet homme qui n’a jamais recherché que l’excellence à acquérir ces modèles : il possède les originaux neufs en boîte ! C’est un mystère. Je ne cherche pas à savoir, par pudeur sans doute. C’est juste un questionnement, une interrogation, en aucun cas  un jugement de ma part. Il faut d’ailleurs regarder cette série comme une collection à part entière avec ses points forts. Ces modèles sont bluffants. Et c’est là peut être qu’il faut comprendre leur succès. Nombre d’amateurs éclairés ont acheté ces modèles, comme mon ami milanais.

Cela leur a permis d’acquérir, grâce à Atlas, des copies de modèles rares et inaccessibles financièrement. Mais la situation a évolué depuis la sortie de cette série. Le pouvoir d’achat des collectionneurs a baissé, le budget aloué à leur passion aussi, entrainant de fait une baisse des prix. Comme me l’a confié Jean-Michel Roulet il y a quelque temps, le prix des Dinky Toys et de bien d’autres marques était surfait par rapport à la production réalisée. Nous assistons donc à un salutaire rééquilibrage. Je peux en parler librement étant moi même collectionneur. La baisse de prix n’a pas abimé ma passion ni mon envie de collectionner, bien au contraire. J’y vois l’opportunité de s’intéresser à d’autres marques. j’ai ainsi commencé à collectionner les Mebetoys et les Wizzwheells de chez Corgi Toys.

 L’histoire se poursuit une semaine plus tard dans le sous-sol d’une maison de la banlieue parisienne. Cela fait près de cinquante ans que je convoite une pièce singulière et je vais toucher au but. Le début de l’histoire remonte à un dimanche après midi de 1977. Je n’ai pas la date précise. Comme tous les dimanches après midi, mon père et moi sommes  dans le stand du marchand Gilles Sherpereel au marché Vernaison aux puces à Saint-Ouen. A cette époque, c’est M. Sherpereel qui faisait la pluie et le beau temps dans l’univers du jouet ancien. C’était la référence. Ce sera plus tard, aussi, un modèle pour moi. Mais ce jour là, un client nous a devancé. L’allure est joviale, il tient à la main une curieuse mallette en vinyle orange qu’on devine destinée à transporter des disques 33 tours. Elle est décorée d’autocollants issus de la presse enfantine. A son comportement et à celui du marchand, nous comprenons que c’est un familier du lieu. Et sans aucun doute, il est bien plus avancé que nous dans la collection. La preuve, le marchand lui sort de son meuble à tiroir en tôle, situé à sa droite, un étrange objet. Curieux, je tends l’oreille. C’est l’apprentissage qui commence. J’écoute la conversation de ces gens expérimentés pour progresser et enrichir mes connaissances. La pièce que Gilles Sherpereel lui propose est intrigante et je comprends que je suis en présence d’un objet exceptionnel. C’est le prototype en bois du Berliet GBO saharien.

Le client n’hésite pas et l’achète. Quelques temps plus tard, nous avons recroisé l’acheteur du Berliet à la malette orange chez notre ami Daniel Tuffery. Une solide amitié est née entre ce petit brocanteur du marché Jules Valles et mon père, tous deux d’origine auvergnate. Il se trouve que l’homme à la malette a lui assi des origines auvergnates. Nous faisons donc connaissance. Il est docteur et exerce en région parisienne. Suivront plus de quarante années de relations. Il sera client dès l’ouverture de mon magasin en 1984. Comme je l’ai récemment confié à son fils , j’ai parfois redouté  le mercredi, jour de fermeture de son cabinet et de son passage à la boutique. C’est une journée où J’ai bien souvent fermé très en retard. Mais il y eu une belle relation, empreinte   de respect. L’amitié suivra. Je l’appelais « docteur ». Mon métier m’a permis de tisser avec quelques clients une relation particulière, au delà de la relation marchant-client.  Comme me confiait son épouse avec un petit sourire, je faisais un peu partie de la famille. Combien de fois ne l’ai je taquiné avec son « Berliet » lui demandant quand il me le vendrait. « Tu verras cela avec mes successeurs » me répondait-il invariablement, avant d’ajouter qu’il avait aussi la 24 J l’Alfa Romeo 1900.

Vincent Espinasse